|
Forum économique de Dakar"LA MONDIALISATION, UNE CHANGE POUR L'AFRIQUE"Puisque j'aborde ce sujet difficile, je ne puis, devant vous, me soustraire au devoir de souligner que cette dette constitue toujours un handicap pour l'Afrique et qu'il faudra continuer à avancer vers une solution définitive sans méconnaître les immenses progrès déjà acquis et sans ignorer les difficultés qui restent à résoudre. Mais nous savons que vous êtes à nos côtés et que la Banque mondiale, fidèle à sa charte de solidarité, pourra nous aider à surmonter les derniers écueils et à retrouver dans le contexte porteur de la croissance actuelle, un élan puissant pour notre participation active à l'économie mondiale. MONDIALISATION : UNE CHANCE C'est bien d'économie mondiale dont il s'agit aujourd'hui. Pour notre développement les enjeux sont dorénavant à cette échelle. Bien que le phénomène ne soit pas nouveau, les échanges et le commerce ont de tout temps régi les relations entre les hommes et les continents, le mot claque aujourd'hui comme un slogan menaçant. C'est que les changes n'ont cessé de s'amplifier au point de concerner dorénavant tous les secteurs d'activité sans exclusive. Et cette tendance à l'ouverture et à la libéralisation totale est sans doute irréversible. Aussi, la seule question qui vaille est comment faire participer l'Afrique à cette mondialisation. Comment, à quel prix, au nom de quelles valeurs, sous quelles conditions, vers quel horizon? Il est logique et probable que l'élargissement du champ des interactions internationales couvrant les échanges de marchandises, les investissements, les services, entraîne fatalement et heureusement une intégration positive, génératrice de progrès économique et humain pour l'ensemble de l'humanité et par conséquent pour notre continent. L'évolution économique récente des pays émergents de l'Asie du Sud-Est et d'Amérique Latine témoigne de l'importance de ce phénomène d'une économie ouverte au monde et des opportunités d'affaires qui peuvent se créer dans ce nouveau contexte de globalisation des échanges. Or, force est de constater que le continent africain représente moins de 3% du commerce mondial et tire bien peu de bénéfice de la mondialisation. Pourtant, nous avons de quoi échanger, commercer; pourtant notre présence à travers l'histoire et sur la scène internationale compte autant au nom de la culture et du développement humain que les autres continents. C'est pour redresser l'anomalie de cette situation que la plupart des pays africains, en accord avec les institutions internationales, ont mis en uvre des programmes d'ajustement économique visant à l'assainissement de leur cadre macro-économique afin de renouer avec une croissance saine, forte et durable qui est aujourd'hui d'environ 4,5% en moyenne continentale. C'est pour cette raison que l'Afrique uvre à la réhabilitation économique de son image par tout un ensemble de mesures visant à créer un environnement de plus en plus favorable aux opérateurs économiques privés, à l'amélioration de cadre institutionnel des affaires sur le plan administratif et judiciaire, au renforcement et à la valorisation de son capital humain A l'instar d'autres continents, elle se donne les moyens de devenir, elle aussi, un pôle de la croissance économique mondiale. L'Afrique regorge d'atouts, de produits, de potentialités attractives, d'énergie et d'espoir, d'hommes et de femmes généreux, entreprenants et ambitieux. C'est dans cet état d'esprit qu'elle pense que la mondialisation représente, pour elle aussi, une chance réelle de progrès. Elle y croit à condition toutefois qu'elle sache mettre en commun ses efforts, à condition que les promoteurs du décloisonnement des marchés et de la concurrence universelle cessent d'imaginer qu'il peut y avoir une liberté sans concessions équilibrées. L'égalité des nations est un principe qui doit tenir compte de la réalité des puissances. Tel ou tel de nos pays ne pèse pas le même poids que la Chine face aux Etats-Unis. C'est un exemple. Une chance pour l'Afrique, oui! A condition encore que la coopération internationale soit poursuivie et même intensifiée pour réduire les distorsions qui pénalisent par avance les meilleures bonnes volontés notamment par une réorientation concertée du flux des investissements directs, des transferts de technologie, et par un soutien en matière de santé publique face aux grandes pandémies. Il sera ainsi démontré que mettre fin à la pauvreté dans les pays du Sud, est un projet commun pour le Nord et que ce projet permettra de progresser sur le plan économique en créant des richesses et des emplois tant dans les sociétés avancées que dans les pays en développement, permettra aussi de promouvoir un développement qui soit à même de compenser notre retard technique actuel par rapport à l'Occident, et, d'autre part, le retard complémentaire qu'entraîne un accroissement démographique. La mondialisation sera alors un facteur de consolidation de la paix et du désarmement et favorisera l'émergence de nouvelles formes de solidarité à l'échelle des régions. C'est dans cette perspective qu'il faut soutenir les efforts des régions du monde les plus démunies lorsqu'elles tentent de s'organiser autour d'intérêts communs face aux formes les plus ultra-libérales et aux effets pervers de la globalisation. DES MARCHES REGIONAUX AFRICAINS Paradoxalement, c'est au moment où le marché doit conquérir le monde qu'il se fragmente. On assiste de fait à une régionalisation de l'économie mondiale et l'intégration passe d'abord par ces marchés régionaux qui s'organisent et s'institutionnalisent sur tous les continents. La question est de savoir si ces nouveaux espaces peuvent constituer des zones assez puissantes en Afrique pour mettre en uvre un développement autonome et profitable à nos populations, tout en restant ouvertes aux principes de la mondialisation? Pour les pays du Nord, la réponse est à coup sûr positive. Pour les pays du Sud, les projets de marchés communs représentent une rupture avec les évolutions des deux dernières décennies. Ils n'aboutiront que si le libre échange interne va de pair avec une certaine protection externe permettant, par exemple, l'émergence d'industries régionales centrées sur la satisfaction des besoins des populations locales. Il faut donc encore une fois souligner la nécessité de faciliter le développement des échanges tout en préservant les chances d'industrialisation de nos pays jeunes et en limitant les possibilités d'abus nés de positions dominantes. C'est à cet équilibre complexe d'intérêts contradictoires qu'il faut tendre. C'est pourquoi, il faut préserver l'association des pays de l'ACP avec la communauté européenne et renouveler les accords de la convention de Lomé. C'est un des trop rares exemples d'essai d'organisation de pays partenaires en ensembles régionaux. C'est positif, car, quels que soient les apports, forcément limités, des pays européens, le développement économique ne peut provenir que de la mobilisation et de la coordination à l'échelle régionale des efforts et initiatives des pays du Sud. C'est un réel et grand progrès. Certes, la création de zones régionales africaines en marché commun ouvre déjà de grands espoirs de coopération, de renouvellement et de croissance. Ces réalisations exigent des efforts qu'il serait vain de nier, elles inspirent dans un dessein historique beaucoup plus vaste: une Afrique sociale, une Afrique démocratique, citoyenne, une Afrique politique, une Afrique en paix, prospère, tout entière tournée vers l'édification d'une véritable identité économique et culturelle africaine. Bien entendu, cette intégration ne peut se faire que sur des bases qui reflètent les idéaux de démocratie, de liberté et de justice sociale. Elle ne peut progresser que si chacun de ses membres, conscient des bienfaits à en attendre, accepte sa part de sacrifices et fait des concessions. L'intégration économique et politique doit être pour chacun de nous un devoir de vigilance et de rigueur dans la définition et la mise en uvre de chaque avancée: pas de concession unilatérale, mais un partage des contraintes et des responsabilités par la négociation, en ayant une conviction forte des résultats escomptés. Il faut construire un ensemble cohérent de plusieurs cercles allant s'élargissant et convergeant progressivement vers le même but. Aucun projet n'est valable à contresens de cette dynamique communautaire. De ce processus par étapes successives, dépendent les succès de l'UEMOA et de la CEDEAO en Afrique de l'Ouest et demain de l'Afrique entière. Les succès déjà observés dans le développement de grands marchés intérieurs créés à partir d'une union douanière, de la libre circulation des marchandises, de la liberté d'établissement et de prestation de services, stimulent un saut qualitatif qui touche aux autres secteurs possibles de coopération, même si parfois l'harmonisation du droit ou le partage de la souveraineté s'y révèle plus délicat à matérialiser. Pourtant, même sur ces questions, des avancées significatives ont été confirmées. Aujourd'hui, la réalisation d'une intégration de notre région est devenue une perspective crédible pour les agents économiques qui l'associent dorénavant dans leur stratégie de développement. Et ce d'autant plus que la dimension politique en conforte de plus en plus les perspectives. DES PROGRAMMES D'INVESTISSEMENTS COMMUNS De grands programmes d'investissements à forte signification politique permettraient à la fois de mobiliser les opinions publiques et de renforcer la cohésion des pays participants. Je pense à des investissements communs dans la recherche et la technologie, des investissements dans le domaine de l'environnement, des programmes de réhabilitation de la forêt, qui peuvent être demain, autant pour l'Afrique que pour les autres continents, le ressort d'une croissance nouvelle, et auront chez nous un impact direct et sensible en termes d'image et de reconnaissance. Mais surtout dans l'espoir d'un développement harmonieux et viable, de moins en moins d pendant de l'aide extérieure et encourageant la création de liens d'appartenance à la grande famille des Nations africaines, je soulignerai, en priorité, l'importance de programmes liés à l'agriculture. Il est fondamental de conserver à l'Afrique son paysage rural, une population enracinée, des villages vivants... Toute économie qui s'arrache à la pauvreté commence par se doter d'une agriculture, c'est-à-dire des moyens de satisfaire son autosuffisance alimentaire. Les experts le savent, les pays subsahéliens aussi, le fléau de la sous-alimentation n'est pas éradiqué. Aussi, les projets qui visent à améliorer les conditions de vie de nos populations à dominante paysanne ne doivent écarter aucune solution. L'AGRICULTURE: LE SOCLE DE NOTRE INDUSTRIE Si la terre est capable de nourrir tous ceux qui l'habitent, encore faut-il lui en donner les moyens. Il faut aider nos agriculteurs à acquérir et à maîtriser les moyens de développer une agriculture plus intensive qui leur permette d'atteindre l'autosuffisance alimentaire de façon permanente, d'accéder aux ressources énergétiques indispensables, nouvelles ou traditionnelles, de mieux maîtriser les ressources en eau et leur utilisation. Le développement d'une hydraulique villageoise, adaptée aux besoins spécifiques de l'homme, participe à ce combat contre la pauvreté au plus près de ses implications quotidiennes. Il soutient techniquement une agriculture irriguée, donc mieux maîtrisée, au rendement plus constant et plus performant. La Banque mondiale, qui est à l'avant-garde de la lutte contre la pauvreté, se doit d'accompagner cette démarche en l'intégrant dans tous ses programmes de développement rural. D'autant plus que si l'agriculture africaine, faute de production, est un jour ruinée à la base par les importations de l'extérieur _ et nous en avons déjà des exemples _ la création d'une industrie, à laquelle tout le monde aspire, serait définitivement impossible. L'agriculture est le socle de notre industrie. Les leçons du passé nous enseignent un moyen, et un seul, d'éviter cet écueil: profiter des projets d'aménagement du territoire en cours pour faire marcher de concert une double politique de diversification de notre agriculture et, disons, de ruralisation de notre industrie naissante. L'individualisation des moyens de communication, le progrès technique en général, favorisent la délocalisation d'unités industrielles de petites dimensions. C'est un mouvement général. L'exemple de nombreux pays le démontre, notamment en Europe où ce phénomène est déjà bien amorcé. Aussi, doter l'Afrique d'une succession de villages industriels où les personnels vivraient à la campagne, offrirait à chaque famille la possibilité d'ajouter à son revenu salarial les fruits de quelques arpents de terre. On se prend à rêver des familles les plus heureuses du monde. Plus rien à voir avec la misère du petit paysan. Plus rien à voir non plus avec la désintégration sociale à laquelle s'exposent tous ceux qui font, malgré eux le mauvais choix de venir vivre dans les banlieues de nos capitales. Une part de l'avenir de nos campagnes, c'est-à-dire de tout le continent africain pour encore de nombreuses années, est dans cette possibilité de cumul des fonctions et des revenus. Mais à condition de ne pas commettre d'erreur sur les priorités. C'est à nous d'inventer notre modèle de développement le mieux adapté à notre histoire et à notre culture. Les Institutions n'ont pas un modèle type à imposer aux autres peuples. Mais au contraire, elles doivent les aider dans leurs démarches propres par de véritables actions de partenariat ou de co-développement faites de soutien aux investissements réalisés sur place, d'accès ordonné à nos marchés, de transfert de technologie, d'association rapide à nos mécanismes communautaires. LE BUT ULTIME: LES ETATS-UNIS D'AFRIQUE Autour d'idées simples, vraies et fortes, parlons au monde d'une seule voix, celle de la communauté africaine forte bientôt d'un milliard de personnes. Notre continent, uni dans sa diversité, préservera mieux ses racines qu'un ensemble morcelé face à la domination culturelle et économique des puissances occidentales ou asiatiques. Cet espoir n'est pas actuellement déraisonnable. Cet encouragement à l'intégration est le seul capable de stimuler le dépassement des scissions de notre continent et d'éviter l'accentuation de clivages conflictuels dans une Afrique nouvelle. Le but ultime à atteindre est le même pour tous: les Etats Unis d'Afrique. Et il n'est pas question d'exclure qui que ce soit, ni de se limiter à une Afrique marchande et réglementaire, mais d'aller d'un même pas déterminé vers une coopération diplomatique, une sécurité collective, un jour une monnaie unique et le plus vite possible vers une prospérité partagée. Il s'agit d'un projet à long terme dont la vision, la vocation panafricaine, est inscrite dans les gènes de l'Afrique elle-même. Tout cela est de l'ordre du possible à échéance lointaine. Les problèmes techniques ne sont pas des obstacles infranchissables. Je n'idéalise pas la situation actuelle, je mesure les difficultés, voire la gravité des choix. Mais entre les risques qui paralysent et les initiatives qui peuvent faire rêver, bouger, transformer en mieux, mon choix est fait. Trop souvent, l'Afrique n'a été que le continent des origines de l'humanité. L'heure est venue d'en faire le nouveau grand continent de l'avenir de l'homme. Tel est le sens de cette Afrique que nous construisons jour après jour. Tel est le sens que ces réflexions informelles ont tenté d'aborder pour entraîner la convergence des ambitions, des projets et des convictions.
|