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BI-HEBDOMADAIRE DU PDCI-RDA
Mardi 12 Janvier 1999
Yamoussoukro
"IL ÉTAIT LA CANNE D'HOUPHOUET-BOIGNY"
Profondément ému par le deuil qui frappe le pays tout entier après le décès de Philippe
Grégoire Yacé, grande figure politique de la Côte d'Ivoire, le Secrétaire Général
du PDCI-RDA Laurent Dona Fologo livre ici ses témoignages sur la vie de l'homme et
du militant.
M.le Secrétaire Général, on retiendra du Président Yacé qu'il a été Président du Conseil
Economique et Social, Député, Président de l'Assemblée Nationale, et surtout Secrétaire
Général du PDCI-RDA.
Quelle est l'étape de la vie politique de l'homme qui vous a le plus marqué ?
- Je suis arrivé en Côte d'Ivoire en 1964 c'est-à-dire au moment où le Président Yacé
était à la fois Secrétaire Général du PDCI et Président de l'Assemblée Nationale.
La partie de sa vie qui a précédé mon arrivée en Côte d'Ivoire m'est peut-être moins
connue mais je sais que lorsque nous étions étudiants en France, par le biais du
journal Fraternité nous suivions l'essentiel de l'évolution de notre pays. Et le
nom du Président Yacé déjà à cette époque, c'est-à-dire en ce qui me concerne entre 1961 et
1964, apparaissait souvent dans les colonnes de ce journal du parti dont le Président
Houphouët-Boigny était le Directeur politique.
Les citoyens de ma générations ne peuvent pas oublier Philippe Grégoire Yacé, Secrétaire
Général du PDCI et Président de l'Assemblée Nationale.
Pourquoi avez-vous été marqué par cette étape de la vie politique de l'homme. Est-ce
le parti unique ? - Oui ! Dans un cadre de Parti unique comme c'était le cas à cette
époque-là pour le PDCI, vous imaginez la puissance du responsable du parti qui est
en même temps Président de l'Assemblée.
C'est donc cette partie de sa vie qui m'a le plus marqué.
D'abord à mon arrivée en Côte d'Ivoire, c'est lui qui m'a reçu à la demande d'un ami,
et qui m'a proposé au Président Houphouët-Boigny pour être à la tête de Fraternité-Matin.
Cela m'a beaucoup frappé. J'étais étudiant en France, militant de la FENAF, une organisation estudiantine dont on connaît l'idéologie et qui ne ménageait pas les
pouvoirs néo-colonialistes ou néo-colonisés à l'époque, donc qui ne ménageait pas
la Côte d'Ivoire.
Vous avez donc été surpris par la proposition du Président Yacé ?
- Ayant été l'un des responsables dans ma section à Lille, j'ai été surpris. Le pouvoir
n'a pas tenu compte de ce passé, et m'a fait immédiatement confiance en me confiant
le seul journal à l'époque, le seul quotidien qui devait naître et qui traduisait
évidemment l'essentiel des idéaux et des options des choix du PDCI et du pouvoir.
Cette confiance j'allais dire aveugle m'a profondément marqué. Et pour paraphraser
le Président Houphouët-Boigny, j'ai tenu à répondre à la confiance par la confiance.
C'est à dire que je me suis engagé à servir sans réserve et à montrer que j'étais
digne de confiance.
Vous l'avez donc côtoyé très jeune, vous connaissez donc l'homme...
- Pendant cette période -là, j'ai souvent fréquenté le Président Yacé, puisqu'il suivait
l'évolution du journal. Et aussi parce que à partir de 1970, je suis entré au Bureau
Politique. Je dis souvent que je suis l'un des plus jeunes membres du Bureau Politique. A cette époque j'avais 30 ans et le Bureau Politique était un véritable cénacle
qui n'a rien à voir avec ce que nous vivons aujourd'hui.
Au sein de ce Bureau Politique, j'ai observé de près le Président Yacé. C'était un
homme d'autorité, presque fait pour le commandement. Je ne sais pas si ce sont ses
origines nobles de Jacqueville ou si c'est son passage en tant que combattant de
la deuxième Guerre Mondiale qui lui donnaient ces allures de commandant.
Ceux qui le connaissaient mieux que moi savaient qu'il était très humain, qu'il était
généreux et affable. Mais pour moi qui le voyais surtout aux cours des rencontres
politiques, je ne retenais que l'homme autoritaire qui savait ce qu'il voulait et
auquel il fallait obéir.
Vous-avez souvenir de certains rappels à l'ordre ?
- Jeune membre du Bureau Politique, j'ai été plus d'une fois avec d'autres rappelé
à l'ordre sur certaines questions.
J'ai aussi été frappé par l'engagement du Président Yacé aux côtés du Président Houphouët.
Je lui ai dit un jour, récemment avant sa mort, que je suis aujourd'hui en ma qualité
de Secrétaire Général du PDCI, une pâle représentation de ce qu'il fut autrefois. Je voulais dire ce jour-là que je n'avais pas son autorité et que le contexte ne
permettait pas au Secrétaire Général d'aujourd'hui d'avoir la même assurance.
Mais, au niveau de l'engagement politique je dois dire que sur ce point-là je m'efforce
de lui ressembler. Il était total. On l'appelait même - je l'ai appelé en tout cas
- l'homme des missions difficiles.
Il y a des gens qui m'appellent parfois aujourd'hui, Fologo l'homme des missions difficiles.
Parce qu'on m'a trouvé en Afrique du Sud en plein Apartheid, parce qu'en 1990 lorsque
le bateau prenait eau de toutes parts, je me suis levé, j'ai contré ceux qui voulaient le noyer.
En 1993 lorsque beaucoup tremblaient pour la gestion de la transition, là aussi j'ai
offert ma poitrine, avec d'autres bien entendu, pour que ce qui devait l'être le
fût.
Lorsque vous regardez l'itinéraire du Président Yacé, il a aussi eu des moments difficiles,
de cette manière.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
- Lors du désapparentement du RDA d'avec le Parti Communiste, il a été chargé de plusieurs
missions difficiles, dans les années 1950, 1952.
Il a dirigé la section de Treichville lorsque le responsable M. Mathieu Ekra a été
arrêté et jeté en prison à Bassam.
Il était le Président de la Cour de Sûreté de l'Etat, pendant le fameux complot en
61,63. Ce qui fut un moment un peu sombre de la belle épopée d'Houphouët-Boigny.
Faut-il attribuer les fameux complots ou non ?
- Le Président Houphouët-Boigny ne pouvait pas se mettre en première ligne pour ce
genre de situation. C'est-à-dire que c'est à lui qu'il faut pratiquement attribuer
toutes les mises en prison de ceux qui avaient été accusés de complot à l'époque
. C'était une mission difficile.
A la mort du Président Houphouët-Boigny, on a compris qu'à partir de 1980 lorsque
le Président Yacé a quitté à la fois la tête du Parti et la tête de l'Assemblée Nationale,
il est évident que cela n'était pas facile à supporter.
Comment a-t-il vécu ces moments difficiles ?
- Il a donc supporté dans la dignité et je pense que ceci explique cela. En 1993
lors de la passation du témoin, il y a eu quelques malentendus dans notre famille
politique. Mais très vite, il a compris le rôle qui était le sien, c'est-à-dire celui
du doyen, du compagnon du Président Houphouët qui ne pouvait pas permettre que la grande
oeuvre qu'ils avaient bâtie pendant près de trois décennies éclate du jour au lendemain
avec la force du père fondateur. Là aussi c'était un passage difficile et il a réussi.
C'est donc tout cela que vous résumez en missions difficiles ?
- Ce sont donc quelques épisodes que je définis comme des missions difficiles qui
me restent à l'esprit, surtout pour marquer ma reconnaissance et mon respect envers
l'homme politique qu'il fut.
Après que j'ai été porté à la tête du Secrétariat Général du Parti, et même après
les moments difficiles de 1993, il m'est arrivé d'aller plusieurs fois chez le Président
Yacé à Biétry pour lui soumettre quelques unes de mes idées, quelques unes de mes
inquiétudes et recueillir auprès de lui ses conseils avisés.
Chaque fois, je suis reparti de Biétry, réconforté, revigoré et rassuré.
Il était donc pour vous un conseiller avisé ! - Absolument ! Il me disait toujours
: "Fologo, nous te soutenons dans le combat que tu mènes aujourd'hui. N'aie peur
de rien. Nous sommes derrière toi".
Il m'a dit ces paroles fortes, bien avant le passage de 1993. C'est dire que le Président
Yacé a continué à jouer son rôle historique. Il s'est rendu chez le Président Bédié
et après s'être bien attendu avec lui sur les grandes orientations, le Président
Yacé a invité le Chef de l'Etat à Jacqueville et nous avons baptisé cette visite de
la grande réconciliation, la grande compréhension qui remet le PDCI véritablement
sur les rails du succès et de la victoire.
Quel est l'acte politique du Président Yacé qui vous a le plus marqué ?
- Ceux qui l'ont pratiqué avant 1960 vous en diront peut-être plus. Par exemple lors
du Congrès du PDCI-RDA de 1959, le Président Yacé était Secrétaire Adjoint, quant
il y a eu quelques difficultés au niveau du Secrétariat Général du PDCI entre Mockey
et le Président Denise, le Président Yacé qui était leur jeune à l'époque était co-opté
sur les deux listes des deux antagonistes, et c'est ainsi que le Président Houpouët-Boigny,
pour couper court à toutes les difficultés, lui a confié le Secrétariat par intérim, en attendant le Congrès de 1965 qui devait le confirmer de façon définitive à
son poste où il est resté pendant deux décennies sans difficulté majeure. L'un des
moments les plus difficiles pour lui comme pour la nation, je l'ai dit et je le répète,
a été la gestion des complots vrais ou faux de 1961, 1963. Cela n'a pas été facile d'être
de la Cour de sûreté de l'Etat. A partir de 65 où j'ai commencé à fonctionner véritablement
au sein du PDCI, les actes qu'il a posés sont nombreux. Par exemple c'est à lui que le Président Houphouët-Boigny a demandé de créer le premier quotidien national.
En Côte d'Ivoire, il y avait les journaux d'opinion : Fraternité qui était le journal
du PDCI, il avait Le Réveil, Attoungblan.
5 ans après l'indépendance, le Président Houphouët-Boigny a voulu un quotidien national,
qui soit le reflet de notre souveraineté. Et c'est le Président Yacé qui a géré ces
dossiers. C'est donc lui qui est à la base de la création de Fraternité-Matin. Aujourd'hui, on qualifie ce journal de journal gouvernemental, moi je vous dis que l'histoire
dit clairement que ce journal a été créé par le Secrétaire Général du PDCI, avec
la bénédiction du Président du PDCI. C'est cela la vérité.
Pour moi qui étais journaliste et qui suivais le Président Houphouët-Boigny dans tous
ses déplacements, je dois dire que de façon régulière, permanente et sûre, le Président
Yacé était vraiment la canne du Président Houphouët-Boigny. C'était le bâton sur
lequel il s'appuyait pour prendre toutes ses positions.
M. le Secrétaire Général, le jeune Rédacteur en Chef que vous étiez avait-il de bons
rapports avec lui sous le Parti unique ? Quelle était sa perception de la presse
?
- Pendant les 15 années que j'ai passées à la tête de Fraternité-Matin, le Président
Yacé ne m'a jamais fait le moindre reproche quant au contenu du Journal.
Au demeurant, dans l'organisation du PDCI, c'est le Président Mamadou Coulibaly qui
était désigné pour suivre l'évolution du journal. Le Président Yacé n'en garantissait
que la gestion financière et l'orientation.
Mais par rapport au contenu, jamais il nous a fait le moindre reproche. La vérité
à cette époque c'est que le Président Houphouët-Boigny s'intéressait de façon permanente
au contenu du journal. La gestion, les difficultés de l'imprimerie et autres, il
les laissait aux mains du Président Coulibaly.
Au niveau de la politique extérieure, le Président Yacé a eu à prendre position. Les
Ivoiriens de ma génération se souviennent de ses répliques au Chef de l'Etat guinéen
de l'époque lors de la période de malentendus entre la Côte d'Ivoire et la Guinée.
Qu'est-ce qui justifiait pour vous cette prise de position ?
- D'abord le Président Yacé était un grand patriote. De plus, je vous ai dit que le
Président Yacé était la canne du Président Houphouët-Boigny. Donc il ne faisait que
traduire à haute voix les positions du Président Houphouët-Boigny.
C'est le Président Houphouët-Boigny qui était attaqué à longueur de journée par la
Guinée de Sékou Touré, par le Ghana de Nkrumah, l'histoire est ce qu'elle est.
A cette époque-là en sa qualité de Président de l'Assemblée et du fait que son engagement
auprès d'Houphouët était total. Il recevait les coups, il se mettait toujours en
première ligne. Il recevait les coups, mais c'est un peu le rôle d'un Secrétaire
Général. C'était l'avocat du PDCI, du Président Houphouët-Boigny et de la Côte d'Ivoire.
Ceux qui ont côtoyé le Président Yacé disent qu'il était fier d'avancer souvent qu'il
était un ancien combattant.
- Fier, dans le sens positif du terme. C'était un citoyen Français, il a fait la guerre,
il en est revenu, grâce à Dieu, indemne. Il n'avait pas caché qu'il a été un combattant
de la Grande Guerre.
Pendant longtemps, il a été Président de l'Association des Anciens Combattants de
Côte d'Ivoire et même d'Afrique francophone. Je crois que cela aussi a apporté beaucoup
à son caractère et l'a aguerri.
L'homme a jeté les bases de la presse en Côte d'Ivoire, mais on garde de lui l'image
de quelqu'un qui n'aimait pas la presse, qui n'avait pas de contact direct avec la
presse. Est-ce que cette vision des choses est exacte ?
- On ne peut pas dire que le Président Yacé n'aimait pas la presse.
Dans le PDCI chacun avait réellement son rôle . Chaque fois que des petits journaux
se sont amusés à vouloir le salir, il a immédiatement convoqué le journaliste et
il a fait répondre. Mais , il acceptait les critiques. Il ne réagissait pas toujours
de façon violente. Mais lorsqu'il estimait qu'on dépassait les bornes, il réagissait effectivement.
Mais je pense que l'idée qu'il méprisait ou qu'il s'éloignait de la presse n'est
pas juste. Parce que son collaborateur de près de trente ans d'affilée qui est M. Faustin Coffie est journaliste de formation.
On dit du Président Yacé qu'il est peut-être avec le Président Houphouët de ceux qui
ont réussi le mieux la synthèse entre la tradition et la modernité parce qu'il était
très attaché aux valeurs traditionnelles. On l'appelait même le guide spirituel des
3 A.
- Je ne connais pas bien l'aspect traditionnel du Président Yacé. Je suis du Nord,
je ne connais pas bien lestraditions du Sud. Ce que je sais c'est que son peuple
l'a couronné comme le Chef spirituel des 3A. Cela veut dire que malgré tout son itinéraire,
la guerre qu'il a faite en Europe, son identité française et même l'origine de son
épouse qui est Antillaise donc Française , il avait les pieds bien ancrés dans le
sol de Jacqueville.
A la veille de l'hommage que la Nation s'apprête à rendre au Président du Conseil
Economique et Social, que dites-vous à vos militants étant donné qu'il était après
tout un vaillant combattant du PDCI-RDA ?
- Nous nous apprêtons à rendre je ne dirai pas le même hommage que nous avons rendu
au Président Houphouët-Boigny mais presque. Parce que c'était la canne du Président
Houphouët-Boigny, parce que c'est un pan de l'histoire du PDCI et de la Côte d'Ivoire
qui est tombé. Par conséquent le devoir de mémoire, de reconnaissance, de fidélité et
de respect nous invite tous à lui rendre l'hommage qui lui est dû. D'ailleurs nous
étions près de 150 militants partis spontanément pour saluer la famille. C'est vous
dire combien nous nous sentons concernés par ce deuil et combien nous sommes prêts à participer
à toutes les étapes de ses obsèques.
L'hommage est national puisqu'il est le Président d'une institution, mais l'hommage
est aussi politique, parce que c'est une grande figure de notre Parti et de notre
pays. Il a été pendant plus de 20 ans Secrétaire Général, vous comprenez que le modeste
Secrétaire Général que je suis aujourd'hui soit au premier rang pour rendre cet hommage-là.
Propos recueillis par
NAZAIRE BREKA
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